Les risques impalpables du monde musical : 2) éviter ou déraper entre logos et pathos ?
Les discours tenus sur la nature ou les bienfaits de la musique font rarement l'objet d'une mise à l'épreuve de leur validité et d'une analyse de leur origine épistémologique. Cela tient souvent au fait qu'on les considère comme subsidiaires à l'écoute ou à la pratique et qu'on fonde alors toute autorité dans la parole des compositeurs et des interprètes (lesques sont, en principe, moins formés à produire des discours rationnels et des systèmes de connaissances que des oeuvres et interprétations). Il s'ensuit un jeu de cache-cache thérorie-pratique marqué par une surenchère d'informations extradisciplinaires et où l'on peut raconter à peu près tout ce qu'on veut sur le musical sans jamais risquer d'être trop facilement contredit : actes et pensées sont rarement régulés conjointement et, par une pratique (d'oeuvres, de techniques, de publics, mais aussi de méthodes de pensée) et, par une épistémologie moderne (ayant une double pertinence artistisque et intellectuelle). Ainsi, la musique offre un terrain accueillant et des métaphores puissantes et flexibles aux idéologies de tout bord (du moment qu'on la valorise). Ces idéologies peuvent alors constituer un risque, aujourd'hui accru, pour qui prendrait leurs discours trop " au pied de la lettre", n'en saisissant ni les paradoxes, ni l'origine, ni les contextes d'emploi possibles.
Après l'analyse des idéologies de valorisation du risque (partie 1), l'auteur aborde celles qui, au nom de la créativité et de la sensibilité demandée aux individus, convoquent, d'une part, le pouvoir romantique du regard d'artiste de décoller de la réalité (afin de permettre aux homme de se consoler de leurs souffrances en les poétisant) et, d'autre part, la figure de l'enfant comme idéal en soi (afin de trouver une issue à la crise de la culture qui marqua le XXe siècle). Or, ce regard de l'artiste peut-il être efficacement détaché des oeuvres et des codes qui l'ont porté à nous et constituent les garde-fous de sa pratique - et cela de surcroît en étant toujours sommé d'assurer des fonctions culturelles de cohésion sociale et de civilisation des êtres ? De même, quelle est la valeur éducative d'un système établissant, à partir de préoccupations purement esthétiques, un objectif dont la définition reprendrait les figures du sauvage, de l'aliéné ou de l'enfant ?
L'analyse démontre que ces idéaux fallacieux sont souvent le fruit d'emprunts légitimateurs mal assimilés ou de rencontres interdisciplinaires ratées (faute de méthode, de désir ou d'appareil sémantique commun entre les champs, trop hétérogènes, du discours sur l'art des sciences de l'homme et de la société).
Numéro : 62